En 1938, Saint-Exupéry est un écrivain célèbre, récompensé du prix Femina et auteur de grands reportages sur la Russie et l’Espagne publié dans le quotidien Paris-Soir. Il est aussi un pilote expérimenté, connu pour ses raids, compagnon de Mermoz et Guillaumet. Sa notoriété est telle, que Paris-Soir décide de proposer à ses lecteurs « un grand récit vécu » de l’écrivain aviateur. Sous le titre Aventures et Escales, une série de six articles sont publiés dans Paris-Soir du 8 au 15 novembre 1938.
Deux semaines durant, les lecteurs de Paris-Soir suivent les souvenirs de Saint-Exupéry publiés en page 4 du journal et accompagnés de photographies. Il raconte ses débuts dans la compagnie Latécoère, future Aéropostale et se remémore son séjour en tant que chef d’escale à Cap Juby, en plein désert mauritanien. Au-delà de l’anecdote et du pittoresque, il fait l’éloge d’un métier, celui de pilote, et d’un outil, l’avion. Ils permettent aux hommes de découvrir le vrai visage de notre planète et d’établir des liens essentiels entre eux et avec la terre. Saint-Exupéry reprendra certains de ces articles pour les faire figurer, après quelques remaniements, dans son livre Terre des hommes, publié en 1939.
RESUME
Aventures et Escales, 1. Dans la nuit glacée je fais ma veillée d’arme, dans Paris-Soir, 8 novembre 1938
Saint-Exupéry évoque ses débuts de pilote chez Latécoère : sa première mission, le réveil avant l’aube, le voyage dans le car jusqu’à l’aéroport, les mots simples qui annoncent la disparition d’un camarade, un accident ordinaire après tout. Ce métier dangereux et incertain permet à ceux qui le pratiquent de s’échapper de « la carapace de glaise endurcie du bureaucrate ». Cet article est repris dans Terre des hommes chapitre I La Ligne.
Aventures et Escales, 2. Néri et moi, nous sommes perdus sur la mer, dans Paris-Soir, 9 novembre 193
Le pilote Saint-Exupéry et le radio Jacques Néri s’égarent au-dessus de la mer. À quelle distance du rivage sont-ils ? Le combustible sera-t-il suffisant pour arriver à destination ou au moins au-dessus de la terre ferme pour tenter un atterrissage ? Tout en essayant de se repérer, Saint-Exupéry rêve du repas qu’il prendra au petit matin à Casablanca. Dieu merci, il aperçoit la côte, et la TFF lui fait savoir que le réservoir de son appareil est plus grand que d’ordinaire : il a suffisamment d’essence pour arriver à Villa Cisneros. Cet article est repris dans Terre des hommes chapitre I La Ligne dans le second souvenir.
Aventures et Escales, 3. Trois équipages dans la nuit chantaient, dans Paris-Soir, 10 novembre 1938
La mort d’un camarade est annoncée par des mots simples. La grandeur d’un métier est d’unir les hommes et de leur donner un langage commun. C’est encore plus vrai dans le cas des pilotes qui risquent leur vie quotidiennement. Voilà trois équipages en danger de mort au Sahara. Le premier est tombé en panne, celui venu le secourir aussi. Saint-Exupéry arrive avec un troisième avion. Faute de pouvoir réparer un des deux avions, ils doivent tous passer la nuit dans le désert, sous la menace des tribus dissidentes qui ont déjà massacré des camarades. Le danger rapproche les hommes, crée des liens. Cet article est repris dans Terre des hommes chapitre II « Les camarades » sans les trois 1ers paragraphes.
Aventures et Escales, 4. Depuis l’origine du monde, personne jamais n’avait marché là…, dans Paris-Soir, 11 novembre 1938
L’avion est un outil particulier parce qu’il nous fait découvrir le vrai visage de la terre. Les routes épousent les besoins des hommes. L’avion nous apprend la ligne droite. Sur un plateau inaccessible du Sahara occidental où il s’était posé, Saint-Exupéry se réjouit de fouler un sable qu’aucun homme n’avait touché avant lui. Et comme une nappe tendue sous un pommier ne peut recevoir que des pommes, cette terre tendue sous les étoiles ne pouvait recevoir que de la poussière d’étoiles. Il ramasse des pierres, certainement des météorites. Comment faut-il considérer l’homme confronté à l’immensité de l’univers ? Cet article est repris dans Terre des hommes chapitre III L’avion et du chapitre IV L’avion et la planète.
Aventures et Escales, 5. La magie du désert c’est ça, dans Paris-Soir, 14 novembre 1938
Le désert est le contraire de notre agitation quotidienne. Il nous apprend à mieux sentir l’écoulement du temps. Il nous apprend que sa beauté est une fontaine que l’on désire parce qu’elle est la vie. Il en va de même pour notre âme qui institue les choses par l’amour. Saint-Exupéry raconte sa rencontre avec un sergent qui vit seul dans un fortin isolé. Il reçoit des vivres tous les six mois et il attend avec ferveur cette rencontre. Il rêve d’une « cousine » de Tunis qu’il ne reverra sans doute jamais, mais qui donne du sens à son attente. De même, la fontaine embellit le désert par le simple fait qu’elle est là, quelque part, un repère pour le désir. Cet article est repris dans Terre des hommes chapitre VI « Dans le désert ».
Aventures et Escales, 6. L’arbre, dans Paris-Soir, 15 novembre 1938
Des chefs berbères restent indifférents à la civilisation industrielle qu’ils viennent de découvrir lors d’un séjour en France. La locomotive est admirable mais l’arbre est autrement plus compliqué : « essayez donc de fabriquer un arbre ! » Le Dieu des Français a été plus généreux que celui des Maures avec son peuple. Il leur a donné l’eau qui, au Sahara, est un bien précieux. Dans le désert où survivre est un combat perpétuel, les vertus des hommes sont différentes. Tuer ses ennemis fait partie des règles d’une civilisation orgueilleuse et rude. Cet article dans l’article Souvenirs de Mauritanie, paru dans Marianne n°77du 11 avril 1934 et dans Air France Revue n°2 en 1935.
CITATIONS
Déjà je baignais dans l’embrun, je mordais déjà, pilote de ligne, à la pulpe amère des nuits de vol. (I)
Maintenant la glaise dont tu es formé a séché, et s’est durcie, et nul en toi ne saurait désormais réveiller le musicien endormi, ou le poète, ou l’astronome qui, peut-être, t’habitait d’abord. (I)
Ainsi, les nécessités qu’impose un métier transforment et enrichissent le monde. (II)
Seul au milieu d’un vaste tribunal qu’un ciel de tempête lui compose, ce pilote dispute son courrier à trois divinités élémentaires, la montagne, la mer et l’orage. (II)
Il s’agit de juger non la règle, mais l’homme qui la fonde. (II)
La grandeur d’un métier est, avant tout d’unir les hommes et de leur façonner un langage commun. (III)
En travaillant pour les biens matériels, nous bâtissons nous-mêmes notre prison. (III)
Transporter du courrier, transporter de la voix, transporter des images, nos plus grandes réussites n’ont qu’une direction, celle qui a toujours tourmenté l’homme. C’est contre l’espace et contre le temps que nous luttons toujours. (IV)
Le Sahara c’est en nous qu’il se montre. L’aborder ce n’est point visiter l’oasis, c’est faire notre religion d’une fontaine. (V)
Le désert pour nous ? C’était ce qui naissait en nous. Ce que nous apprenions sur nous-mêmes. (V)
Ce n’est point la locomotive qui est admirable mais l’arbre. Un arbre, tout compte fait, est autrement perfectionné qu’une locomotive. Essayez donc de fabriquer un arbre ! (VI)
BIBLIOGRAPHIE
Antoine de Saint-Exupéry : Souvenirs de Mauritanie,dans Marianne n°77, 11 avril 1934
Antoine de Saint-Exupéry : Souvenirs de Mauritanie, dans Air France Revue n°2 en 1935
Antoine de Saint-Exupéry : Terre des hommes, Gallimard, 1939
Saint-Exupéry : Œuvres complètes I, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1994